Ludivine, professeure de physique-chimie dans la vallée de l’Arve, a réalisé une centaine de relevés de qualité de l’air principalement autour de Bonneville. Munie de son micro-capteur elle a notamment observé l’impact des chauffages au bois, de l’altitude, de la météo ou encore de l’aération.  

 

Pourriez-vous s’il vous plaît nous en dire plus sur vous ?

 

Je suis professeure de physique chimie dans un collège et la qualité de l’air est au programme, on l’aborde chaque année. J’ai montré à mes élèves des vidéos de l’émission Envoyé Spécial qui montrait la pollution de l’air dans la vallée de l’Arve.  

Cependant, quand on parle de la vallée de l’Arve dans les médias, c’est souvent de Passy, donc je voulais voir ce que cela donnait côté Bonneville là où j’habite. Passy est coincé dans la cuvette, et Bonneville commence à être sur l’ouverture. Je me demandais si la typologie du site influençait la qualité de l’air. 

 

Quelle était votre démarche en empruntant un capteur de qualité de l’air ?

 

J’avais déjà pris le capteur deux fois auparavant, en mai et en septembre 2022. Mais cette fois, je voulais savoir ce que représentait concrètement un pic de pollution. J’attendais qu’arrive le fameux phénomène d’inversion thermique propre à l’hiver, et voir jusqu’à combien la pollution pouvait grimper.  

 
L’inversion thermique

Il s’agit d’un phénomène aérologique fréquent dans les régions montagneuses qui peut être à l’origine de pics de pollution en hiver.  

En situation normale, la température de l'air diminue avec l'altitude (environ 6,5°C par kilomètre). L’air chaud monte naturellement tandis que l’air froid tend à rester où il se trouve. Lors d’une inversion de température, l’air du bas est plus froid que celui du haut. Entre les deux se forme une couche d'air plus chaude qu'on appelle couche d'inversion dont l’épaisseur est assez variable. 

La situation devient alors critique car les polluants se retrouvent comme bloqués sous un couvercle d’air chaud. Cela entraîne alors une accumulation rapide des polluants et un épisode de pollution peut survenir. 

 

Quelles observations intéressantes avez-vous pu faire ?

 

Il y a des cheminées dans mon quartier dont la mienne. Quand je fais le tour à pied avec mon capteur et que je sens l’odeur du feu de bois, je note une observation. Je me suis rendue compte que cela coïncidait souvent avec le passage des PM2.5 dans le niveau orange. 

La première partie de janvier quand il faisait meilleur et qu’il y avait moins de cheminées de manière générale, mes mesures étaient dans le vert. Par contre quand il a fait plus froid, les cheminées se sont mises en route et les niveaux du fond de l’air sont globalement très vite passés en orange. 

 

Concentrations en particules fines PM10 en µg/m³ mesurées par le micro-capteur - AVANT(haut)/PENDANT(bas) une vigilance pollution

 
Lien entre particules fines et météo

Plusieurs conditions météo favorisent l’accumulation et la stagnation des particules fines: 

- Une température froide est propice à une augmentation du recours au chauffage au bois, et donc génère plus d’émissions dans l’atmosphère.  

- Niveau vent, des conditions anticycloniques ont pour effet de plaquer les polluants à basse altitude en raison des pressions au centre de l’anticyclone et des vents se dirigeant vers l’extérieur. L’absence de vent, quant à elle conduit à réduire le brassage et la dispersion naturelle des polluants.  

- Une masse d’air sèche ne permet pas d’éliminer les particules fines. Par opposition aux précipitations, qui ont pour effet de lessiver l’air en faisant retomber les polluants au sol. 

Dans de telles conditions, les anciennes particules émises stagnent et se cumulent à celles nouvellement émises, et provoquent des concentrations élevées dans l’air.  

 

Avez-vous été surprise par vos mesures?

 

Je m’attendais à ce que mes courbes de mesure soient toutes en rouge, alors que c’est plutôt en jaune-orange. J’ai envie de me dire que c’est moins pire, mais comparé à mes mesures faites au printemps/automne je vois bien qu’on est en plein pic de pollution. Avant c’était totalement vert à l’extérieur tandis que maintenant ça s’est beaucoup dégradé. 

 

Avez-vous testé des mesures d’air intérieur, pour observer l’impact de votre poêle à bois? 

 

L’air intérieur m’intéresse aussi. J’ai testé mon poêle, on a été surpris car on est dans le vert. J’ai un appareil récent, et je place le capteur juste en face du poêle quand on alimente en bois. Parfois il peut y avoir des légères augmentations en jaune mais globalement ça reste dans le vert toute la journée.  

En air intérieur c’est bien, mais en air extérieur je ne me leurre pas, je sais que ça a quand même de l’impact. J’étais surprise que l’air intérieur soit bon, malgré parfois la pollution en extérieur et malgré le fait que mon poêle soit allumé. C’est rassurant pour cela. 

D’ailleurs, le dernier jour où j’avais le capteur je me suis dit que j’allais faire une mesure dans la chambre de mes enfants pendant que j’aérais. J’ai été effarée de me rendre compte qu’au réveil des enfants il n’y avait pas de particules fines et dès qu’on a ouvert les fenêtres les taux de particules ont augmenté progressivement. Et en refermant les fenêtres, il a fallu un certain temps avant que cela repasse au vert!



Concentrations en particules fines PM10 en µg/m³ mesurées par le micro-capteur  au moment de l'aération
 

 
L’aération pendant un épisode de pollution 

Dans certaines situation, l’air extérieur peut-être plus chargé de particules fines que l’air intérieur. Pour autant il demeure nécessaire d’aérer quotidiennement son logement pour évacuer les polluants spécifiques de l’air intérieur tels que des composés organiques volatils (COV). Il s’agit d’un groupe de substances pouvant être d’origine anthropique, qu’on retrouve dans les peintures, encens, colles, cosmétiques, solvants et autres produits courants pour des usages ménagers, professionnels et industriels.  

En cas de pic de pollution de l’air, il est recommandé de ne pas modifier les pratiques habituelles d’aération et de ventilation car en dehors de situations spécifiques telles qu’un accident industriel, un épisode de pollution ne justifie pas des mesures de confinement. Il sera toujours favorable d’aérer pour faire circuler l’air dans votre logement, préférez cependant les périodes de la journée les moins polluées (tôt le matin ou tard le soir). 
Plus d’infos sur notre article: Quand, comment et pourquoi aérer son logement ? 


Avez-vous utilisé le capteur avec vos élèves ? 

 

La pollution de l’air est au programme, les causes, les conséquences etc. J’ai amené un jour le capteur en classe avec des 4ième, je leur ai montré et on s’est fait la même remarque. Dans la salle c’était vert et à l’extérieur c’était jaune orange. Cela a suscité un peu d’inquiétude chez les élèves.  

Les élèves ont dit “Ah mais alors, il ne faut pas sortir, c’est pas bon!”. Mais je leur ai expliqué et je pense refaire l’expérience pour leur montrer l’importance d’avoir une bonne ventilation à la maison. 


Est-ce que ces mesures ont influencé vos pratiques ?

 

En dehors du poêle, je n’ai pas l’impression au quotidien de contribuer particulièrement à la pollution de l’air. Nous disposons d’une seule voiture pour le foyer, et je me déplace déjà à vélo pour me rendre au travail. On continue à ventiler notre air intérieur, même quand il y a de la pollution dehors, car nous avons conscience qu’il faut renouveler l’air.  

J’ai participé à cette expérience surtout à titre d’information, pour connaître l’air, à l’endroit où j’habite par rapport à la forme de la vallée de l’Arve.  

 

Auriez-vous un dernier mot à adresser à notre communauté de citoyens engagées pour la qualité de l’air ?

 

C’est une expérience très enrichissante qui permet de comparer la qualité de l’air chez nous, autour de chez nous, à différents moments de l’année. C’est toujours intéressant de savoir ce qui pénètre dans notre corps et ce que l’on respire!   

 

Merci à Ludivine pour son témoignage.

 

Crédit photo : "Pointe d'Andey @ Pénouclet" by Guilhem Vellut is licensed under CC BY-NC 2.0 .